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Corps, avatars et identités
“Votre âme se détache insensiblement de votre corps [...] l'esprit ne tient plus à la chair que par un fil ; mais nous allons y faire un bon nœud.” [[[Gautier T., Avatar, Les Editions du Sonneur, 2010. Première édition 1856, p. 18]]]
Théophile Gautier
Théophile Gautier
Poète, romancier et critique d'art français

Un avatar est une manifestation concrète d’un individu

Depuis une vingtaine d’années, le terme d’avatar s’est popularisé, que ce soit grâce aux jeux vidéo, au développement de nombreux films (Avatar, Ready Player One, etc.) ou encore du fait de son usage dans un nombre grandissant de sites web et d’applications mobiles. Quel que soit le support ou le format des avatars, ceux-ci ne sont jamais des “entités symboliques arbitraires”, mais toujours la représentation, “fût-ce de loin et virtuellement, de véritables êtres humains, des hommes et des femmes qui leur délèguent par procuration une parcelle de légitimité” [[[Quéau P. (1993). Le virtuel, vertus et vertiges. Champ Vallon : Milieux, 215 p., p. 73.]]]. Que l'on qualifie l'avatar de “double numérique”, de “marionnette”, de “partenaire”, de “clone”, d'“extension”, ou encore de “personnage”, il s'agit de “manifestations concrètes”, comme les nomme Anne Cauquelin [[[Cauquelin A. (2010), À l'angle des mondes possibles, Paris : PUF, Quadrige, Essais Débats, 2010.]]]. Ainsi, la représentation à l’écran d’un individu dans un environnement numérique, et plus spécifiquement dans un monde virtuel où son avatar est personnalisable grâce à des dizaines voire des centaines de paramètres, “ne se limite pas à [la] représentation graphique de l’avatar à l’écran. Elle est constituée d’un réseau de critères et d’affiliations qui regroupent par exemple des “opéra­teurs” (les habits, le pseudonyme, etc.), des “qualifiants” (statut, compétences du personnage, etc.), des “sociatifs” (les amis) et des “possessifs” (vidéos, photos, terrains possédés, objets produits dans le monde)” [[[Georges F. (2010), “Identités virtuelles. Les profils utilisateur du web 2.0”, Collection L>P : Questions Théoriques, p. 95.]]].

En 2008, lors du festival Ludovia, Fanny Georges explique en 2 minutes les différentes dimensions de l’avatar.

Identités en ligne

C’est l’une des promesses de l’internet et du web que de pouvoir utiliser, jouer et jongler avec plusieurs personnages, pseudonymes, avatars et donc plusieurs identités. Les pratiques de construction d’identités, de mise en scène et de publication de soi en ligne sont largement renseignées à propos du web [[[- Cardon D. (2008), “Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du Web 2.0”, Réseaux, 6, n°152, pp.93-137 - Ertzscheid O. (2013), Qu’est-ce que l’identité en ligne ? Enjeux, outils, méthodologies. Marseille, OpenEditions Press.]]], des jeux vidéo et autres mondes virtuels. Les imaginaires négatifs autour de comportements déviants qui pourraient être permis dans le Métavers ont fait resurgir d’anciens débats autour des liens entre identité régalienne et identité numérique, entre protection de la vie privée (privacy) et contrôle des données. À ce titre il est utile de rappeler, à la suite de Dominique Cardon, que les internautes savent gérer leur visibilité en ligne bien plus qu’on ne le croit généralement :

“Il est erroné de penser – comme on l’entend souvent – que Facebook connaît tout de la vie des individus qui s’y affichent. Loin d’être la somme de données objectives et complètes sur la vie des individus, la réputation en ligne est le fruit d’un travail intense que mènent les internautes pour soustraire, maquiller, partitionner et sélectionner certaines de ces données” [[[Cardon D. (2019), Culture numérique. Paris : Presses de Sciences Po, p. 181.]]].
Dominique Cardon
Dominique Cardon
Sociologue

Fanny Georges a pour sa part bien montré l’articulation entre trois composantes d’une identité en ligne avec lesquelles les individus composent :

  • l’identité déclarative (ce que l’on déclare ou non),
  • l’identité agissante (ce que l’on publie, la manière dont on fait évoluer notre identité),
  • l’identité calculée (qui est fondée sur le statut et la notoriété à partir d’indicateurs) [[[Georges F. (2010), op. cit.]]].
De ce point de vue, le Métavers ne réactualise pas la question de l’identité en ligne puisqu’“une même personne peut avoir plusieurs identités, car l’identité présentée dépend du contexte dans lequel elle est utilisée (état civil, vie sociale, vie professionnelle, jeux en ligne, etc.) et de la confiance qui lui est accordée” [[[- CNIL (2023), “L’identité numérique”, Dossier thématique, février 2023 : https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/2023-03/CNIL_Dossier-thematique_Identite%20numerique.pdf]]]. Or, c’est également une promesse du Métavers que de pouvoir continuer de jouer de plusieurs identités, et avatars, en fonction du contexte.

La mise en données du corps

Le développement des métavers et le déploiement des technologies qui les sous-tendent (casques ou lunettes de réalité virtuelle, augmentée et mixte, capteurs haptiques, etc.) entraînent de nouvelles possibilités en matière de collecte (suivi des mouvements du corps – body tracking –, suivi du regard – eye tracking –, etc.) et de traitement de données dites émotionnelles, biométriques, comportementales… En janvier 2022, un article du Financial Times indiquait, à partir de l’analyse de centaines de demandes de brevets déposées par Meta auprès de l'Office américain des brevets et des marques (le United States Patent and Trademark Office, ou USPTO), que “les mouvements des pupilles, les poses du corps et les froncements de nez font partie des manifestations de l'expression humaine que Meta veut exploiter pour construire son métavers”[[[Murphy H. (2022). “Facebook patents reveal how it intends to cash in on metaverse”, le 18 janvier 2022: https://www.ft.com/content/76d40aac-034e-4e0b-95eb-c5d34146f647]]]. Si ces données sont a priori vouées à améliorer l’expérience utilisateur (reproduction des mouvements, des émotions, etc.) des questions se sont immédiatement posées quant à leur possible monétisation. Pour en savoir plus à cet égard, et sur la façon dont ces pratiques sont encadrées juridiquement, voir l’article “Un cadre “Metaverse-proof””). Par ailleurs, l'agrégation des données relatives aux caractéristiques corporelles des utilisateurs, à leurs mouvements ou encore à leurs habitudes, pourrait donner lieu à l’émergence d’un double virtuel de chacun d’entre nous, que ce soit pour des applications ludiques ou professionnelles, à l’image du domaine des jumeaux numériques en santé qui se développe rapidement.

A gauche de l'image, une femme porte un casque audio et regarde son téléphone qu'elle tient dans ses mains. A droite, un corps numérique représenté. Entre les deux, des infos bulles qui relient le corps de la femme et sa représentation numérique, qui expliquent les possibilités numériques pour simuler le cerveau humain, améliorer la santé et faire de la médecine prédictive ou encore suivre les mouvements de l'individu.
Représentation graphique de quelques possibilités envisagées par le double numérique d’un individu. Crédits image : Tata Consultancy Services (TCS) Source : https://www.csrwire.com/press_releases/762981-national-twin-day-1218-tcs-infographic-shows-what-your-digital-twin-will-do

Plusieurs usages sont à ce titre déjà pressentis :

  • Améliorer l’apparence du corps numérique : les marques de cosmétiques s’activent autour de la question d’un double virtuel qui posséderait les caractéristiques de la peau de l’individu, de sa pigmentation et d’autres caractéristiques de celles-ci, au-delà du développement de looks virtuels et autres maquillages pour avatars.
  • Soigner et entretenir le corps physique, grâce à un double médical qui soit une représentation 3D de l’espace de santé numérique. Celui-ci représenterait l’historique des interventions sur le corps (interventions chirurgicales, traitements en cours et passés). Il pourrait être construit à partir des technologies IRM et serait accessible aux personnels de santé qui accèdent à une vue complète de l’historique de santé du patient. Toutefois, dans ce cas, des systèmes fermés de réalité virtuelle seraient peut-être plus pertinents que le Métavers.
  • Augmenter le corps physique, que ça soit sa partie cognitive (éducation, formation) ou sensorielle (expériences diverses, relations intimes).

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