Le Métavers existera-t-il ?
En réponse à cette question, nous pourrions arguer que le propre de l’avenir est d’être imprévisible. Dans notre cas, il s’agit pourtant de préciser que la réponse à cette question dépend en premier lieu de la définition que l’on prête au Métavers. Certains pourraient considérer que le Métavers existe déjà ! Toutefois, il reste intéressant d’exposer différents arguments qui alimentent les débats autour de cette question :
- Limiter le Métavers à Meta est extrêmement réducteur puisque, selon les mots d’une représentante de l’entreprise, il est “une constellation de technologies, une interconnexion de systèmes, sans frontières nationales, qui demande à être construit, opéré et gouverné par plusieurs institutions”. Il importe donc de porter une attention particulière aux différentes initiatives œuvrant dans le sens du développement du Métavers, qui est un projet itératif de long terme, à l’échelle mondiale, tout en tentant de distinguer les véritables volontés de développement de projets des effets d’annonces.
- Analyser le positionnement de l’ensemble des acteurs sur la chaîne de valeur du Métavers (cf. “La chaîne de valeur du Métavers”) est important pour anticiper son développement, puisque “de grandes entreprises telles que NVIDIA et Unity investissent massivement pour mettre en place les bases de l'infrastructure, tandis que Roblox, Decentraland et The Sandbox se battent pour devenir le portail préféré, et que les studios Web3 tels que Touchcast et TerraZero travaillent avec des marques de premier plan pour étendre leur part de marché” (Source : Harvard Business Review). En outre, même si de nombreux arguments confondent souvent le Métavers avec les jumeaux numériques industriels (cf. “Les alter ego du Métavers”), il faut observer avec attention le marché des casques de réalité virtuelle et de réalité mixte, puisque ceux-ci pénètrent de plus en plus de marchés professionnels et génèrent des investissements colossaux.
- Ne pas considérer que 2022 fut l’année du Métavers, et 2023 uniquement celle de l’intelligence artificielle (IA). Car, au-delà de nombreux observateurs qui estiment que de plus en plus d’entreprises, dont Meta, semblent avoir “débranché” le Métavers au profit de l’IA que les investissements et les équipes dédiées au Métavers dans de nombreuses entreprises ont été réduits, et que les médias se sont détournés de cet objet, certains discours doivent nous faire comprendre que la structuration du Métavers est en cours : “la salle de travail virtuelle Horizon Workrooms est une première étape vers un bureau dans le Métavers. Et, grâce à la plateforme Presence (réalité mixte, sentiment de présence sociale…), de nouveaux types d’applications seront créés. [...] Nous sommes convaincus que le Métavers est l’avenir de l’informatique et qu’il doit être construit autour des personnes”.
Surtout, la conférence Meta Connect 2023 vient confirmer cet argument, puisqu’au travers du casque Meta Quest 3, du développement de l’intelligence artificielle et des lunettes connectées qui ont été proposées comme les produits phares de l’année 2024, et qui ont été présentées comme des “technologies du Métavers”, c’est bien l’hybridation continue de nos expériences numérisées quotidiennes qui se joue. En d’autres termes, la construction du Métavers, tel qu’il fut présenté aux équipes de Facebook dès l’été 2021.
Le Métavers n’existera peut-être jamais, mais les métavers oui
Pour de nombreux commentateurs, certains éléments fondamentaux du Métavers apparaissent difficilement réalisables, voire impossibles ou encore non souhaitables du fait des ressources qu’elles demanderaient.
L'interopérabilité, un mirage ?
L’interopérabilité pose la question des dispositifs avec lesquels il est possible d’expérimenter le Métavers. En d’autres termes, sera-t-il possible d’utiliser un casque ou tout autre équipement d’une marque spécifique pour se rendre dans un univers produit par un autre acteur ? Il semble que ces possibilités soient désormais offertes puisque le 27 septembre 2023, lors de la conférence Meta Connect, a été annoncée la possibilité de se connecter et d’utiliser la solution de jeu en ligne de Microsoft (le Xbox Cloud Gaming) sur le dernier casque de Meta, le Meta Quest 3, à partir du mois de décembre 2023. Par ailleurs, de récentes avancées permettent par exemple d’utiliser Meta Horizon Worlds ou encore Roblox aussi bien sur un écran d’ordinateur que via un casque immersif, ce qui renforce l’interopérabilité entre les solutions logicielles et les dispositifs techniques. Toutefois, concernant l’interopérabilité entre différents univers simulés (soit le fait de pouvoir passer simplement d’un monde à l’autre avec un même avatar, et l’ensemble de ses attributs, par exemple), celle-ci semble plus problématique.
De nombreuses solutions sont à l’étude pour répondre à ce désir d’interopérabilité. Ready Player Me propose par exemple de créer un avatar interopérable entre plusieurs centaines d’applications web, de réalité virtuelle, dans des mondes virtuels… La solution se limite néanmoins à reproduire une apparence graphique, elle ne permet pas la transposition et le fonctionnement d’autres attributs (un objet qui ferait de la musique) d’un monde à l’autre ou d’une application à l’autre. D’autres projets, tels que Gravatar ou Solid, proposent aux individus de centraliser le stockage de l’ensemble de leurs données, de façon sécurisée. Les solutions tierces semblent ainsi être une voie intéressante pour le développement de cette interopérabilité dans le Métavers, puisqu’elles pourraient permettre le développement de bibliothèques de description des propriétés d’un avatar et de l’ensemble de ses objets. Cela pose néanmoins de nombreux défis technologiques, esthétiques, fonctionnels ou encore économiques.
L’illusion de la synchronicité
Une autre promesse du Métavers est de connecter un nombre illimité d’individus entre eux. Or, pour des raisons de limites techniques, il est généralement impossible de réunir actuellement plus de cent utilisateurs (donc avatars) au sein d’un même espace numérique (sauf cas particuliers d’environnements numériques qui demandent moins de ressources). D’ailleurs, la limite technique n’est pas uniquement relative au nombre d’avatars présents dans un même environnement numérique, elle est également conditionnée par la manière dont est produit celui-ci : un environnement numérique très détaillé demandera plus de ressources qu’un environnement peu détaillé. Il permettra donc d’accueillir un nombre plus restreint d’avatars que le second environnement. Ainsi, les avatars qui assistent à un même événement en ligne ne sont pas des millions au même endroit et au même moment. Ils assistent chacun à des répliques d’un même événement, que l’on appelle des “instances”. L’exemple du concert du rappeur Travis Scott dans Fortnite est à ce titre souvent cité puisque les 12,5 millions de spectateurs revendiqués étaient répartis sur 250 000 copies de l’événement. Ils n’étaient donc pas tous au même endroit, au même moment ; le début du concert ayant été décalé pour répartir la charge les flux.
Le “Métavers” comme concept, les métavers comme incarnations
Le Métavers incarne l’idée d’un réseau de mondes virtuels, d’une galaxie d’univers simulés numériquement et interconnectés entre eux. C’est un concept, un idéal. À ce titre, il est intéressant d’opérer une distinction entre “le concept abstrait du Métavers ‘avec un grand M’ (comme on a pu parler de l’Internet ‘à majuscule’) qui décrit un concept de l’immersion, [et les] métavers à minuscule. Le terme métavers avec une minuscule est utilisé quant à lui pour décrire les instanciations ou implémentations des principes du Métavers. Autrement dit, le concept de Métavers contient en lui une multitude de possibilités, de services, d’espaces, plus ou moins ouverts, que l’on nommera ci-après ‘métavers’ avec un ‘m’ minuscule” (source : rapport de la mission exploratoire sur les métavers, p. 9). Cette distinction est intéressante, car l’usage du terme “métavers” reflète la réalité des mondes numériques et univers simulés actuels, dans leurs différences, leur hétérogénéité et leur pluralité. On peut donc faire l’hypothèse qu’il n’y aura pas qu’un unique et grand Métavers, mais plutôt plusieurs métavers constituant chacun une sorte de galaxie de mondes régis par des grandes entreprises, des pouvoirs publics et divers collectifs voire des usagers.
Cette perspective est à considérer avec sérieux, à l’heure où la Commission européenne, mais aussi des pays comme le Royaume-Uni ou la Chine, parmi tant d’autres, communiquent autour de projets et de stratégies liés au développement de leur Métavers ; même s’il s’agisse souvent de stratégies “numériques” qui sont plus proches des jumeaux numériques industriels (industrial metaverse) que du concept du Métavers.