Monde virtuel et environnement simulé
Qu’il soit en 2D, en 2,5D [[[Ensemble de techniques et technologies d'imagerie qui se trouvent à mi-chemin entre la 2D et la 3D.]]] ou en 3D, un “monde virtuel” peut être considéré comme un “environnement numérique persistant, multiutilisateur, accessible grâce à internet et dans lequel l'individu interagit avec celui-ci et avec d'autres utilisateurs par le truchement d'un avatar, sa représentation graphique à l’écran” (source : Lucas, J.-F. (2018), Les figures de l’habitant dans les mondes virtuels). Conséquemment, quand les environnements numériquement simulés ne sont ni persistants ni multiutilisateurs, comme c’est le cas pour de nombreux jeux vidéo, il s’agit certes d'environnements dits “simulés” ou “virtuels”, mais pas de “mondes virtuels”. Ainsi, la promesse du Métavers serait d’interconnecter une multitude d’environnements virtuels (qu’il s’agisse de mondes virtuels ou d’environnements simulés en tout genre) et répondant à des principes fondamentaux.
La réalité virtuelle
Comme le propose Philippe Fuchs, il faut distinguer la réalité virtuelle (RV) qui “doit permettre à un usager d’agir physiquement dans un environnement artificiel”, des systèmes (casques, lunettes, CAVE*) qui permettent cet “agir”. Suivant cette acception, la RV peut englober tout environnement simulé ou tout monde virtuel dès lors qu’un individu y est immergé et qu’il peut y agir. Cette distinction est importante, car la réalité virtuelle s’est construite sur ce rapprochement entre l’environnement simulé et les systèmes, interfaces et dispositifs qui permettent d’y agir ; puisque ce sont justement ces derniers qui renforcent “le fait de croire ce qui n’existe pas”, ce qui est pour Coiffet le principal objectif de la réalité virtuelle. Comme le note Fuchs à juste titre, les expériences sensorimotrices en réalité virtuelle ou dans les métavers “seront partiellement similaires”, bien qu’il existe des différences essentielles : le Métavers est ou permet “un très grand nombre d'utilisateurs simultanément ; [un] monde artificiel persistant et évolutif ; accessible en tout lieu ; [des] échanges commerciaux”.
Web 3.0 et Web3
Si les discussions actuelles sur le Métavers se confondent souvent avec celles du Web3, c’est notamment parce qu’elles exposent les termes d’un débat qui questionne à la fois les services numériques et leurs modèles économiques, ainsi que les acteurs qui les sous-tendent. Or, Métavers, Web3, blockchain, cryptomonnaies, renvoient à des concepts, des architectures techniques, des technologies, ou encore des principes et valeurs qui ne sont pas consubstantiels. Par ailleurs, de nombreuses discussions tentent de distinguer Web3 et Web 3.0, avec des arguments qui ne sont pas toujours les mêmes. Nous n’avons pas ici l’ambition d’apporter de définitions exhaustives à ces termes, mais plutôt de montrer en quoi ils se distinguent ou ne sont pas propres au Métavers. Le Web 1.0 correspond à l’interconnexion de ressources numériques grâce à des hyperliens. C’est un web dit “de la consultation”, où la majorité des individus consulte des sites internet qui sont produits par des experts ou des organisations (ou pour leur compte). Le Web 2.0 illustre quant à lui le web des interactions, de la production et du partage de contenus (textes, images, vidéos, sons…) par les usagers eux-mêmes (on parle alors de User Generated Content ou UGC), ainsi que de leur participation en ligne. Il a vu exploser les plateformes de réseaux sociaux. Se confondent ensuite plusieurs acceptions quant à ce qu’est, serait ou pourrait être le Web 3.0. D’une part, certains considèrent que “le Web 3.0, également connu sous le nom de Web3, est la troisième génération du World Wide Web [et qu’il est] conçu pour être décentralisé, ouvert à tous (avec une conception ascendante) et construit sur la base des technologies blockchain et des développements du web sémantique, qui décrit le web comme un réseau de données liées de manière sensée”. D’autre part, certains proposent de distinguer le Web 3.0 du Web3, considérant que “le terme ‘Web3’ est différent du concept de ‘Web 3.0’ qui désigne le Web sémantique, théorisé par Tim Berners-Lee, le père fondateur du World Wide Web. Le concept de Web3 a quant à lui été premièrement utilisé par Gavin Wood [[[Gavin Wood est informaticien et fondateur de la cryptomonnaie Euthereum.]]] en 2014, faisant référence à un ‘écosystème en ligne décentralisé basé sur la blockchain’. L’idée d’un Web3 a gagné en popularité vers la fin 2021, en grande partie en raison de l’intérêt des enthousiastes de cryptomonnaies et des grands investisseurs” (Galienni S., Truphème S. (2023)).
Ainsi, quand le Web 3.0 ferait plutôt référence à l’amélioration de la compréhension sémantique des données pour proposer une meilleure expérience de l’internet aux utilisateurs, le Web3 désignerait un internet décentralisé, parfois proche des premières utopies de l’internet et du web, se revendiquant de fait comme une alternative aux modèles économiques des grandes plateformes du Web 2.0. Les perspectives du Web 3.0 et du Web3 ne sont pas forcément antinomiques, mais elles ne poursuivent pas directement le même objectif.
S’il n’en fallait pas plus pour brouiller les pistes, certains, à l’image de la Commission européenne, osent esquisser les contours d’un Web 4.0 qui “permettra l'intégration d'objets et d'environnements numériques et réels, ainsi que l'amélioration des interactions entre l'homme et la machine”.
Les jumeaux numériques
Un jumeau numérique (digital twin) est un modèle numérique dynamique d’un objet (voiture, bâtiment, ville, etc.), d’un processus (de production, de formation, etc.) ou d’un système physique ou biologique (corps humain), nourri par des données issues de ce même modèle, tout au long de son cycle de vie. En somme, un jumeau numérique n’est ni l’environnement ou la maquette en 3D, ni la base de données permettant de l’alimenter ou d’alimenter une activité, ni le modèle physique de référence : c’est la réunion des trois. Ce type de dispositif permet par exemple de simuler des comportements, d’optimiser des processus et des rendements (dans l’industrie, dans une usine, en agriculture…), de faire de la surveillance d’infrastructures, d’équipements, d’environnements urbains et naturels, de la maintenance prédictive ou encore de la simulation de scénarios de crise (pics de pollution, incendies, inondations…). Les jumeaux numériques sont de plus en plus utilisés dans un grand nombre de domaines (conception, formation, santé, etc.), que ce soit grâce à un écran ou à un casque de réalité virtuelle. Certains voient dans les jumeaux numériques la préfiguration d’un métaverse industriel (industrial metaverse), voire d’un Métavers Business to Business (BtoB ou B2B) [[[Fait référence à un type de relation commerciale dans lequel une entreprise effectue une opération commerciale avec une autre entreprise. Le BtoB est parfois appelé « marché professionnel ».]]] (à cet égard, voir “BtoC et BtoB”) qui existerait depuis des dizaines d’années. Pourtant, certains éléments fondamentaux qui sont au cœur de la définition du Métavers ne sont pas comparables avec la réalité, les enjeux et les objectifs des jumeaux numériques. En effet, qu’il s’agisse de jumeaux numériques industriels (avion, usine, etc.), relatifs au corps humain, ou encore propres aux villes et territoires, ceux-ci ne répondent ni aux mêmes enjeux, ni aux mêmes problématiques, ni aux mêmes objectifs que ceux du Métavers. Si, à l’image des Building Information Modeling (BIM) ou des City Information Modeling (CIM), un jumeau numérique de ville a besoin de rendre interopérable un grand nombre de données entre elles (de mobilité, de qualité de l’air, de flux divers, etc.), de logiciels et d’applications (directement entre eux ou via des API), ce dernier n’a pas l’utilité de proposer une expérience partagée, simultanée et persistante, à des millions d’individus ; quand ce sont des éléments fondateurs de la définition du Métavers. À l’inverse, le Métavers n’a pas vocation à reposer sur des bases scientifiques, comme c’est le cas pour les jumeaux numériques. Enfin, la plupart des environnements simulés et autres mondes virtuels qui sont assimilés au Métavers offrent généralement la possibilité de transactions financières, ce que ne proposent pas les jumeaux numériques.