Une invitation (continue) au dialogue
Au travers des Metaverse Dialogues, Renaissance Numérique a proposé un échange entre des experts internationaux des technologies, mondes, réalités et expériences immersives. Réunis durant trois journées entre décembre 2022 et juin 2023, ces experts issus d’horizons et de disciplines variées (sociologie, économie, droit, science politique, psychologie, technologie, etc.), ont partagé leurs connaissances et croisé leurs regards sur les usages, les imaginaires, les modèles économiques, les enjeux éthiques, juridiques, de régulation et de gouvernance du Métavers.
Cette démarche itérative et collaborative a permis d’atténuer un certain nombre de flous entourant le Métavers. Elle a également mené à la formulation de six recommandations principales, adressées aux décideurs politiques, notamment à la prochaine Commission européenne, et à toute personne qui s’intéresse ou qui participe à la construction du et des métavers. Toutefois, le dialogue mérite d’être poursuivi.
Quelle place pour la société civile ?
D’abord, parce que le Métavers met en tension différents types de développements possibles, qui encapsulent chacun des modèles parfois opposés dans les technologies, les valeurs et les principes qui les fondent ou les régissent. Il met ainsi en lumière des choix de société qui dépassent simplement ceux de nos interactions numérisées, et souligne par là les insatisfactions vis-à-vis de celles que nous réalisons quotidiennement. Or, quelle voix a réellement la société civile dans ces discussions et ces prises de position ? Si des chartes et des déclarations faites de bonnes intentions représentent ses intérêts, quels leviers pouvons-nous mettre en place pour développer (ou non) un ou des des métavers qui correspondent aux choix de la société ?
Quelle territorialité du droit ?
Ensuite, la question de la territorialité du droit applicable dans le Métavers risque de se révéler épineuse. Si le droit est nécessairement territorialisé, l’une des promesses du Métavers est, à l’inverse, de pouvoir faire une expérience numérique territorialement non définie, et synchronisée avec une infinité de personnes. Si cette promesse reprend la vision du village planétaire de Marshall McLuhan, une diversité de cultures est probablement amenée à coexister dans le Métavers, puisque cela est déjà le cas dans nos interactions en ligne. Dès lors, la conciliation de différentes acceptions, compréhensions et applications de droits, de conventions ou encore de normes appellera-t-elle à une territorialisation du Métavers ? Faudra-t-il par ailleurs, comme le suggèrent les eurodéputés Axel Voss et Ibán García del Blanco, examiner l’idée d’un statut juridique spécial pour les avatars ?
Le Métavers à l’ère de l’ébullition climatique
À l’image du Parlement européen, l’un des arguments les plus souvent avancés pour soutenir un tel développement repose sur l’unique conviction de ses promoteurs que “les mondes virtuels peuvent apporter une contribution positive à la lutte contre le changement climatique et à la durabilité environnementale, en facilitant par exemple le travail à distance, réduisant ainsi les déplacements domicile-travail et les émissions de carbone qui y sont associées” [[[European Parliament (2023), “Draft Report. Virtual worlds – opportunities, risks and policy implications for the single market (2022/2198(INI))”, Committee on the Internal Market and Consumer Protection, 4 août 2023, p.6 : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/IMCO-PR-751902_EN.pdf]]]. Cet argument illustre, comme le signale Alain Berthoz dans le rapport de la mission exploratoire sur les métavers, le risque “d’une forme de déni du réel face aux enjeux climatiques” [[[Basdevant A., François C., Ronfard R. (2022), op. cit., p.82.]]]. En effet, si le travail à distance nécessite sans doute des outils numériques plus performants, il ne nécessite probablement pas le développement de mondes virtuels immersifs pour la très grande majorité des usages professionnels ; dont beaucoup se résument à des visioconférences au cours desquelles on peut voir de plus en plus de personnes couper leurs caméras. Par ailleurs, un simple regard sur l’histoire des sciences et des techniques et de la réalité de l’effet rebond (ou paradoxe de Jevons) suffit à montrer que les bénéfices énergétiques attendus par le développement d’une technologie, du fait d’une amplification notable des comportements, sont rarement atteints.
Conséquemment, il apparaît dès à présent urgent d’avoir une réflexion collective (et individuelle) sur les usages effectifs et possibles du Métavers au regard des effets directs et indirects qu’ils peuvent avoir sur l’impact environnemental, qu’ils soient positifs ou négatifs.
Au-delà des usages, étudier les représentations du Métavers
En définitive, il faut appréhender le Métavers comme un concept qui permet à la fois d’anticiper des usages immersifs possibles, ce qui amène à anticiper certaines régulations, mais qui actualise et questionne également un grand nombre de représentations, souvent préexistantes aux usages, donc à l’adoption de toute technologie. Conséquemment, au-delà des discussions autour des possibles usages du Métavers qui occupent une place (sans doute trop) importante dans les débats d’experts et dans l’espace médiatique, il convient de s’intéresser plus finement aux imaginaires technologiques et sociétaux qui sont cristallisés dans les différentes représentations du Métavers, où que ces dernières mettent en lumière. Ce n’est que dans leur compréhension, leur partage et leur mise en discussion, que nous trouverons collectivement le chemin d’une construction responsable, ou non, de nos futures interactions numérisées.